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par Décembre » 28 nov. 2019 19:54
Bonjour Chat,
Je t'envoie tout mon soutien. Ce que tu traverses est très difficile, et c'est normal que cela t'ébranle.
Ce que je comprends de la réaction de tes parents, c'est qu'ils traversent la très turbulente période de déni que, chacun à leur manière, l'écrasante majorité des parents traversent. Cela peut durer quelques minutes, mais cela peut aussi durer des années. Souvent le début du traitement hormonal accélère les choses mais ça n'est pas toujours le cas.
Tes parents montrent bien qu'ils sont complètement dans cette phase par leurs paroles et leurs actes :
- D'abord, ils ne se sont pas alarmés et ont sûrement eu peur de renforcer ton envie de transition en la refusant. C'est certainement pour cela qu'ils ont "joué le jeu", en se disant que "cela te passera". Il arrive aussi que certains parents ne réalisent pas immédiatement ce que cela implique et se mettent à paniquer à l'approche de dates clefs.
- Ensuite, ton père a essayé de matraquer des pronoms féminins et des allusions à ce genre pour se rassurer. Beaucoup de parents ont peur de perdre leur enfant et c'est pourquoi ils réagissent ainsi.
- "Attends la majorité", c'est à la fois une manière de mettre les problèmes sous le tapis en retardant l'échéance, et également une phrase qui renvoie à un "devoir de parent" : celui de protéger son enfant de choix pris trop tôt, à une époque où l'on change beaucoup, de peur qu'il les regrette. Je ne suis personnellement pas d'accord avec cette vision. L'adolescence est une période très difficile où l'on a justement besoin de se découvrir. Un parent qui ne laisserait pas son enfant le faire l'exposerait au contraire à un grand danger : celui de perdre un temps infini à se conformer à ce que l'on attend de lui, en dépit de son développement personnel. Cela donne rarement des adultes équilibrés, mais plutôt des individus qui explosent en plein vol des années, voire des dizaines d'années plus tard : à trop protéger son enfant, l'on flingue son adulte.
Je ne vais pas revenir sur tout ce qu'ils ont dit, mais cela me semble assez limpide. Il n'y a pas de solution miracle, et le plus injuste c'est que c'est souvent à l'enfant de rassurer son parent, alors qu'il est lui-même en première ligne. Je suis donc désolé d'avoir à te donner ce conseil, mais je ne crois pas que tu arriveras rapidement à tes fins en attendant d'eux qu'ils quittent cette phase de déni, traversent celles de la peur et de la culpabilité qui suivent, jusqu'à ce qu'ils arrivent au moment où ils utiliseront naturellement les bons pronoms, comme une évidence, et sans en souffrir. Il va falloir les accompagner, parce qu'ils vont eux aussi effectuer une transition, si toutefois tu en fais une. Je ne pense pas que l'on puisse (et que l'on doive !) répondre à l’affirmation : "mais c'est qu'une phase, ça va te passer !" par "Non, ce n'est pas une phase." déjà parce que c'est trop frontal, mais également parce que cela pourrait te mettre la pression inverse : "Maintenant que tout le monde me considère comme trans, je ne peux plus faire marche arrière."
Au contraire, je pense qu'une autre approche peut être bien plus bénéfique, c'est à dire : "C'est une éventualité, mais personne ne peut l'affirmer aujourd'hui. Aidez-moi à explorer cet aspect de moi, à le découvrir, à être suivi par un spécialiste bienveillant et compétent qui saura tous nous accompagner (à tout âge, trans ou pas, voir un bon psy cela fait toujours du bien), etc." Essaye de prendre calmement tous leurs arguments et de les déconstruire avec des exemples et sans élever la voix.
Aux différentes remarques, tu peux dire par exemple :
- "Bien évidemment que j'ai une voix féminine, mon corps ne produit pas naturellement assez de testostérone pour que j'aie une puberté masculine. Mais je peux te montrer des exemples d'hommes trans qui ont changé à la suite d'un traitement hormonal, si tu veux. Ils ont tous commencé par là et sont aujourd'hui socialement reconnus comme des hommes."
- "Tous les hommes ne répondent pas à ces stéréotypes, par exemple untel, untel et untel. D'ailleurs, les représentation de la masculinité changent considérablement d'un continent à l'autre ou d'une époque à l'autre, c'est une construction sociale." Au passage, ma mère m'a déjà dit que ça n'était pas la peine de faire une transition si c'était pour ressembler "à un mec qui ressemble à une meuf". Je lui ai rappelé qu'il y a quand même un monde entre une femme féminine, une femme androgyne, et un homme androgyne, que ça soit au niveau du corps, de la voix, du comportement social, etc. Et que le fait que je ne m'identifie pas aux stéréotypes masculins ne voulait pas dire que je m'identifiais à au moins une des manières d'être une femme. Ce qui est "amusant" dans ce genre de situation, c'est que pour servir leur raisonnement, nos proches se mettent tout à coup à voir à la fois d'infinies nuances dans la féminité, mais pas dans la masculinité. Tu peux être "une fille un peu décalée", mais pas "un garçon un peu décalé". Tout de suite il faut aimer draguer comme un beauf et faire de la roue arrière.
- Désolé mais il faudra apprendre à cet homme que les femmes aussi font des rêves érotiques. En revanche, le fait de ne pas être à l'aise avec son genre et sa sexualité ne favorisent pas leur apparition.
- Je ne vois pas en quoi le fait de s'identifier à des personnages masculins dans les films serait un contre-argument. N'hésite pas à lui demander ce qu'il entend par là , la prochaine fois. Peut-être qu'il voulait dire que tu ne t'identifierais pas à des hommes qui existent dans la "vraie vie" ? Demande-lui s'il ne s'est lui-même jamais identifié à des personnages de fiction dans sa jeunesse. Et si tu ne t'identifie pas à des hommes de ton entourage, c'est peut-être parce qu'il ne correspondent pas à ta vision de la masculinité. Et ça, ça n'arrive pas qu'aux hommes trans !
Bref, c'est très difficile quand ont est adolescent, en souffrance, et que nous proches tapent là où ça fait mal, mais l'on ne règle rien en se hurlant dessus. Essaye de comprendre leurs peurs et de les rassurer, parle-leur autant qu'il le faudra des différentes manières de faire une transition qui existent, réponds à leurs questions quand ils en auront...
D'autre part, ce n'est pas grave si tu as l'impression qu'ils n'écoutent pas les arguments. Ils se protègent et le déni est souvent la première chose que l'on saisit pour se couvrir. Cependant, je pense sincèrement que le fait de faire preuve de maturité et de calme permet d'instaurer un climat de confiance. Les parents sont des êtres humains comme les autres, ils ruminent comme tout le monde et doutent également. Il arrive que l'on entende une information un jour J et qu'elle fasse lentement son cours, jusqu'au jour Jx. C'est pourquoi il faut leur laisser du temps sans en perdre toi-même ; tu as 16 ans et en effet la majorité n'est plus très loin. Si bien sûr cela est possible, rencontre des spécialistes transfriendly, rapproche-toi d'associations, questionne ta vision de la transidentité, fais des tests... Si tes parents finissent par coopérer : tant mieux. Si tous tes efforts ne suffisent pas, dis-toi qu'à 18 ans tout pile, si tu veux commencer les hormones, tu peux prendre rendez-vous avec des médecins bienveillants et accéder au traitement très rapidement. En attendant tu t'éviteras de nombreux conflits avec tes parents, et une (encore plus) sale ambiance.
Enfin, pour répondre à tes dernières questions, je te conseillerais de saisir la prochaine occasion d'en parler pour aborder à nouveau le sujet : par exemple quand tu entendras un pronom qui te blesse. Essaye d'expliquer pourquoi tu penses que cela n'est pas dans ton intérêt, argumente calmement, rassure-les, etc. Tant qu'ils en seront là , je te conseillerais plutôt d'éviter de faire des allusions directes au traitement, aux opérations ou aux dispositifs médicaux car cela pourrait les braquer, comme par exemple : "J'ai mal au dos à cause de mon binder". Ça paraît complètement anodin, mais ça peut les renvoyer à leurs peurs et à leur impuissance vis à vis de la situation. Ce qui compte, c'est de montrer dans quelle mesure ils peuvent t'aider dès aujourd'hui... Et tu pourras progressivement aborder de plus en plus de sujets !