Bonjour ou bonsoir à toustes,
Je vous prie de bien vouloir excuser par avance mon outrecuidance si ce message, n'est pas à sa place, si tant est qu'il en ait une, s'il est trop long ou pas assez clair.
Les usages voudraient certainement que je me présente alors voilà , je suis un homme, comme ils disent. À ce qu'il parait. Enfin, peut-être. C'est ce qu'ils disent en tout cas. Ou, peut-être pas. À vrai dire, pas vraiment. C'est plutôt ce qu'ils disent tout en disant que je n'en suis pas un, un homme. Parce que, ce qu'ils savent, c'est que je devrais l'être. Ou du moins je le suis un mais peut-être pas assez.
Est-on jamais assez un homme quand on est censé en être un ?
Qu'on naisse homme ou qu'on le devienne, dans les deux cas, je dois, en toute honnêteté, faire ici le constat de mon échec. D'aussi loin que je me souvienne, on m'a toujours encouragé à être un petit garçon, un vrai. Un qui joue au foot et qui pleure pas, un qui fait pas des trucs de filles. Mais c'est super les trucs de filles. Elles sont géniales les filles. Étaient-ils si pressants à m'enjoindre de me comporter normalement parce qu'ils voyaient bien que je n'y arrivait pas ? Avaient-ils peur que, s'ils n'y prenaient garde, le choux se transformerait en rose ?
J'ai essayé. J'ai essayé d'intégrer le club qui, semblait-il, m'avait été attribué dès la naissance. Celui qui m'attendait les bras ouvert. Un peu comme l'enfant d'un supporter de l'OM pour qui l'amour du maillot bleu et blanc n'est pas une option. J'ai essayé mais je n'ai jamais vraiment compris ce qu'on attendait de moi. C'est vrai ça, comment on fait pour être un garçon ? Ou plutôt comment on fait pour être assez un garçon ?
Alors, j'ai utilisé une vieille ruse. Le mimétisme. ces techniques que des animaux utilisent pour se fondre dans leur environnement et passer inaperçus. Je me suis fondu dans la masse espérant qu'elle finisse par m'absorber, que je m'y dissoudrait. Je n'ai pas dû être très convaincant. Ma prestation théâtrale au spectacle de fin de primaire avait pourtant été unanimement salué. J'aurais peut-être dû continuer le théâtre. Quoi qu'il en soit, je n'ai pas vraiment fait illusion. J'entend encore mon frère ainé m'implorer de faire tout ce que je voulais mais de pas venir lui dire que j'étais pd, tout mais pas ça ! Je devais avoir 12 ans. Qu'il soit rassuré, une savoureuse année de harcèlement homophobe en quatrième n'aura pas réussi à me faire désirer un garçon. Les questions sur mon orientation sexuelles ont continué tout au long de mon adolescence. Je ne comprend toujours pas vraiment pourquoi. Ma façon de danser ? C'est vrai que j'aime bien twerker mais je n'ai appris que bien plus tard.
Passé l'adolescence et ses affres, paraît-il, j'ai arrêté de vouloir m'intégrer dans le club. Visiblement je n'y arrivais pas si bien que ça puis il n'était pas vraiment marrant leur club et je n'aime toujours pas le foot. J'ai toutefois gardé mes vieilles ruses, habillé en "mec normal", basique, neutre. Mon costume de super héro invisible. Je vous raconte tout ça mais ce n'est que récemment que j'ai compris pourquoi j'avais le style vestimentaire que j'ai, neutre et passepartout, pas moche en soi mais franchement insipide. Pendant longtemps j'ai cherché à me convaincre que c'était parce que j'étais quelqu'un de simple, pas matérialiste et qui ne s'intéressait pas vraiment à son look. Quelqu'un qui n'affirmait aucune appartenance par ces vêtements. Une vaste fumisterie. Un silence en dit parfois plus qu'un long discours.
Là n'était pas le sujet, je m'égare. Avec mon premier travail j'ai mis trois sous de coté, j'ai pris un sac à dos et je suis parti faire un tour. Quand je suis rentré, un an et demi plus tard, mon regard avait changé et j'ai voulu agir plutôt que de me borner à maudire le monde entier pour ses injustices. Je me suis politisé et me suis instruit. Enfin, on ma instruit. Des femmes m'ont instruit.
Ce sont les femmes qui instruisent le monde.
Plus je m'instruisait plus je déconstruisait et plus je déconstruisait plus j'était convaincu que je n'avais aucune envie de l'intégrer leur club. Mais, au-delà de ne pas vouloir l'intégrer, les années passant, je me suis rendu compte que je n'en avais jamais vraiment fait parti. Ne m'avais-on pas toujours bien fait comprendre que je n'en avais pas vraiment fait parti. Puis ça n'a jamais changé. Un autre de mes frères m'a dit récemment dans un repas de famille, à table, que la seule chose qui faisait qu'on était certain que je n'étais pas une femme c'est que je sors avec des femmes. Au-delà de la légère confusion entre identité de genre et orientation sexuelle la remarque a le mérite d'être claire. Je ne fais pas partie du club et sur ce point on est bien d'accord.
Constatant mon propre échec et encouragé par une amie proche, je me suis déterminé comme étant une personne non binaire. Le dire m'a fait me sentir léger. Elle m'a pris dans ses bras et m'a dit que maintenant je faisait partie de "la commu". Bienvenu·e ! Ah, qu'il est doux d'intégrer une communauté d'amour, de respect et bienveillance ! Ça na pas été si doux. les premières personnes à qui j'en ai parlé on été quelque peu surprises et c'est peu dire. Est-ce que je peux leur en vouloir ? Pas vraiment et en même temps j'ai été déçu. C'était pourtant des personnes militantes, investies dans des milieux féministes, antifascistes et queer depuis longtemps, rompues aux théories de genre. Ça ne les a pas empêché de questionner ma légitimité, de remettre en question mon ressenti. Aucun milieu n'est épargné, pas même les plus militants et informés et la déconstruction est un travail permanent mais ça fait quand même mal. Ça fait mal parce que c'est un processus qui prend du temps, qui demande de se regarder en face dans une société qui détourne le regard quand elle ne veut pas tout simplement vous voir disparaitre. Parce que le dire c'est se rendre fragile, c'est se mettre à nu devant l'autre. Enlever le costume de super héro.
Je ne suis pas à plaindre, je m'en sors bien et mon costume continue à me protéger dans la rue ou dans les bars et si mon indicible envie de mettre des robes à fleur l'été doit être réprimée, vous conviendrez avec moi que c'est bien peu cher payé. La question de la légitimité a été un frein pour mon affirmation de genre, elle l'est toujours. Ça n'a pas été simple de reconnaitre que j'avais moi aussi subi des la violences fondées sur le genre. Comme si pour être queer il fallait qu'on vous rosse jusqu'à vous laisser pour mort·e dans le caniveau. Un rite initiatique par la domination. C'est plus fort que moi, je ne me sens pas légitime.
Ça fait un peu plus d'un an maintenant que j'ai fait ce choix de me reconnaitre comme étant une personne non binaire. Ça me fait du bien. J'avance sur ma compréhension de qui je suis mais ça me questionne aussi. Étant une personne avec une expression de genre masculine je suis constamment mégenré. Les rares proches à qui j'en ai parlé en dehors des cercles militants n'ont pas réagit comme j'aurais aimé. On m'a dit que c'était bien mais que je resterai un mec. Que je me cherche des complications là où il n'y en a pas. Que ça n'existe pas. Ma famille n'est absolument pas prête à entendre ça et ça me va pour l'instant mais jusqu'à quand ? Je n'ai aucune envie de faire s'envoler en éclat des relations à peu près normalisées mais jusqu'à quand ?
Les gens ne sont pas instruits. Aujourd'hui j'ai eu une conversation avec une collègue. Elle est venue me parler de non binarité. Me poser des question puisque j'ai certainement l'air d'être un gars au fait du sujet tout gaucho que je suis. Elle n'avais aucune malveillance mais ses confusions entre identité et expression et identité de genre ne laissaient aucune place à ce que je suis, à qui je suis. Ses représentations n'étaient pas en mesure de m'accueillir. Au travail personne ne sait. Peut de monde sait finalement.
Je suis fatigué·e de faire comme si tout allait bien, fatigué·e de faire comme si j'étais un homme et fatigué·e de me devoir me justifier ou éduquer quand j'arrête de feindre. Alors, je suis là , en train de divaguer et je jette cette bouteille à la mer.
PS: merci à toi qui est arrivé·e jusqu'au bout.
Non binarité et légitimité
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- Pierre moussue
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Re: Non binarité et légitimité
Hello
Bienvenue à toi sur le forum.
Non binaire ici aussi
Je ne saurai répondre à ton message avec autant de verbe, il est si bien écrit qu'il en devient presque poétique.
Ce que tu décris fait tristement beaucoup de sens, et les personnes assignées homme sont malheureusement d'autant plus rejetés, je trouve, pour leurs variation de genre, (ET d'expression de genre, d'ailleurs).
Je ne sais pas quoi dire pour répondre, en fait, mais t'apporte de l'empathie et te dis que , je crois, je comprends.
Je trouve aussi que la langue française rajoute une couche de difficulté supplémentaire, en nous enjoignant à choisir entre accord masculins et féminins (ou à s'exposer au ridicule en essayant de faire autrement).
Bienvenue à toi sur le forum.
Non binaire ici aussi
Je ne saurai répondre à ton message avec autant de verbe, il est si bien écrit qu'il en devient presque poétique.
Ce que tu décris fait tristement beaucoup de sens, et les personnes assignées homme sont malheureusement d'autant plus rejetés, je trouve, pour leurs variation de genre, (ET d'expression de genre, d'ailleurs).
Je ne sais pas quoi dire pour répondre, en fait, mais t'apporte de l'empathie et te dis que , je crois, je comprends.
Je trouve aussi que la langue française rajoute une couche de difficulté supplémentaire, en nous enjoignant à choisir entre accord masculins et féminins (ou à s'exposer au ridicule en essayant de faire autrement).
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- Gravier
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Re: Non binarité et légitimité
Hello John,
Merci pour ta réponse et pour la bienvenue. Merci aussi, surtout, pour ton empathie, pour croire et comprendre. C'est peut-être tout ce dont j'ai besoin mais qu'est-ce que j'en ai besoin en ce moment. Ce qu'on peut se sentir seul au milieu de la foule.
Merci pour ta réponse et pour la bienvenue. Merci aussi, surtout, pour ton empathie, pour croire et comprendre. C'est peut-être tout ce dont j'ai besoin mais qu'est-ce que j'en ai besoin en ce moment. Ce qu'on peut se sentir seul au milieu de la foule.
- mystère
- Galet
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Re: Non binarité et légitimité
Coucou,
J'ai fait un co nb vers 22 ans à mes proches qui a été super bien accueilli mais en réalité est tout simplement passé à l'as et en fait ils n'avaient rien compris puisqu'ils ont tous été surpris quand j'ai fait mon co trans vers 28 ans. Si tu es en mode discret / mimétisme les gens ne vont pas aller chercher midi à quatorze heures, eux plaquent leurs représentations sur toi et continueront à le faire à moins de beaucoup parler / insister / expliquer / être out et militer, enfin bref, c'est un combat, à toi de voir si tu souhaites être davantage reconnu quitte à rencontrer des réactions à la con ou des barrages, ou si pour avoir la paix tu préfères continuer à passer sous les radars finalement.
Après, bien sûr l'identité de genre et l'expression de genre sont deux choses différentes, mais si tu restes dans les codes de présentation d'une masculinité classique il ne faut pas t'attendre à ce que la foule lambda comprenne quoi que ce soit à la nuance.
J'ai fait un co nb vers 22 ans à mes proches qui a été super bien accueilli mais en réalité est tout simplement passé à l'as et en fait ils n'avaient rien compris puisqu'ils ont tous été surpris quand j'ai fait mon co trans vers 28 ans. Si tu es en mode discret / mimétisme les gens ne vont pas aller chercher midi à quatorze heures, eux plaquent leurs représentations sur toi et continueront à le faire à moins de beaucoup parler / insister / expliquer / être out et militer, enfin bref, c'est un combat, à toi de voir si tu souhaites être davantage reconnu quitte à rencontrer des réactions à la con ou des barrages, ou si pour avoir la paix tu préfères continuer à passer sous les radars finalement.
Après, bien sûr l'identité de genre et l'expression de genre sont deux choses différentes, mais si tu restes dans les codes de présentation d'une masculinité classique il ne faut pas t'attendre à ce que la foule lambda comprenne quoi que ce soit à la nuance.