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Pour un "3ème sexe" en Allemagne - Le Monde

Posté : 02 déc. 2017 10:32
par nifeto
L’Allemagne coche l’option « troisième sexe »

Aux mentions « masculin » et « féminin » viendra s’ajouter, sur les documents administratifs, une case pour les personnes intersexes. Une décision historique prise par un tribunal constitutionnel allemand le 8 novembre.

Le collectif allemand Dritte Option (« troisième option ») milite pour la reconnaissance des personnes intersexes. Ici, Vanja, dont l’action en justice a permis cette reconnaissance.
Pour le moment, Vanja ne veut pas répondre à la presse. « Soyez compréhensifs. Les sollicitations ont été innombrables ces derniers jours, et Vanja a besoin de souffler », explique Moritz Schmidt, porte-parole du collectif allemand Dritte Option (« troisième option »), qui milite pour la reconnaissance des personnes intersexes, c’est-à-dire qui ne se reconnaissent ni homme ni femme.

Une cause que Vanja vient de faire progresser de façon décisive puisque son recours, déposé en 2016 près le tribunal constitutionnel de Karlsruhe, a débouché, mercredi 8 novembre, sur une décision historique : à côté des mentions « masculin » et « féminin », une troisième catégorie devra désormais figurer sur les documents administratifs. Les juges constitutionnels ont exigé des législateurs qu’ils votent les textes nécessaires d’ici à la fin 2018, faisant de l’Allemagne le deuxième pays européen (après Malte) à reconnaître un troisième sexe (en France, la Cour de cassation a refusé en mai la mention « sexe neutre » sur un état civil).

Dans le passé, Vanja n’a pas toujours boudé les médias. À travers ses confidences recueillies par quelques journalistes, mais aussi grâce à la juriste Friederike Wapler, qui a représenté Vanja devant le tribunal de Karlsruhe et a accepté de répondre à nos questions, il est ainsi possible de savoir qui est à l’origine de cette « petite révolution » que représente la décision des juges constitutionnels, ainsi que l’a qualifiée le collectif Dritte Option.
« Dans le rôle d’un homme, je me sens un peu mieux que dans celui d’une femme, c’est vrai. Mais je ne peux pas affirmer pour autant que je suis un homme. » Vanja, qui avait déposé en 2016 un recours près le tribunal constitutionnel de Karlsruhe
À sa naissance en 1989 près de Hanovre (Basse-Saxe), c’est comme fille que Vanja fut inscrite à l’état civil. Mais à l’adolescence, les règles ne sont pas venues et la poitrine n’a pas poussé. Des examens ont alors décelé un syndrome de Turner, une affection génétique rare caractérisée par la présence du seul chromosome X à la place de la paire habituelle des chromosomes sexuels (XX pour les filles, XY pour les garçons). Ont alors suivi des années de « traitement » aux œstrogènes. « Mais ça ne lui a pas du tout réussi », raconte son avocate. Alors Vanja a décidé de prendre de la testostérone. Les effets ont été un peu plus positifs, sans être totalement satisfaisants non plus.
« Dans le rôle d’un homme, je me sens un peu mieux que dans celui d’une femme, c’est vrai. Mais je ne peux pas affirmer pour autant que je suis un homme. Évidemment que je pourrais faire tout mon possible pour être pleinement dans ce rôle. Mais cela voudrait dire que je cache en même temps une part de moi-même », confiait Vanja au Tageszeitung, en 2015.

80 000 personnes intersexes

À l’époque de cette interview, la législation venait d’évoluer en Allemagne. Depuis 2013, il était en effet possible de ne plus remplir nécessairement la case correspondant au sexe sur les documents administratifs. Un progrès ? Pas pour tout le monde. « À l’époque, certains, comme Vanja, ont estimé que laisser un vide n’était pas satisfaisant, raconte Friederike Wapler. La question s’est donc posée de savoir quoi faire. Il y a alors eu une discussion très intense, à laquelle a notamment participé le conseil d’éthique, qui s’est prononcé soit pour l’abolition de toute référence au sexe, soit pour la création d’une troisième option. »

Lire aussi : « Ni homme ni femme », la question du sexe neutre pour l’état civil devant la Cour de cassation

C’est donc cette seconde solution qui s’est imposée. « Je n’étais pas sûre que nous gagnerions. Non pas parce que je doutais de la solidité de nos arguments, mais parce que je craignais que le tribunal constitutionnel ne prît pas la question suffisamment au sérieux », confie Friederike Wapler. En Allemagne, environ 80 000 personnes pourraient être amenées à se reconnaître dans cette nouvelle catégorie, dont la dénomination (« inter », « divers »…) n’est pas encore arrêtée mais qui pose notamment la question de savoir comment désigner les personnes concernées, si ni le masculin ni le féminin ne conviennent. Friederike Wapler le reconnaît : « Cette question du langage est extrêmement compliquée. Mais quand je parle de Vanja, je n’utilise pas de pronom. Pour moi, ce n’est pas “il”, pas “elle”, c’est Vanja. »

M le magazine du Monde | 22.11.2017 Par Thomas Wieder (Berlin, correspondant)

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